L’avis d’appel d’offres national et international lancé récemment par la direction des déplacements, des transports et de la circulation pour la mise en place d’un centre de régulation de la circulation à Alger, et pour lequel un conseil de gouvernement est prévu, ne risque-t-il pas de connaître le même sort que l’engagement pris par les pouvoirs publics au début des années 2000 de lancer un plan visant à fluidifier le trafic routier ?
Pour répondre à l’interrogation, seul le constat des lieux fait foi, ce qui dans ce cas ne saurait être favorable. L’on comprendra en fait que la situation a pris, depuis, des proportions considérables en matière de parc automobile avec un volume trois fois plus important. Les embouteillages sont aujourd’hui presque une fatalité pour les Algérois. Il faut deux heures de trajet pour relier El-Harrach à Bab El-Oued, trois pour aller de Bab Ezzouar à Bouzaréah, autant pour faire les quinze kilomètres qui séparent Bordj El-Kiffan d’Alger-centre. Les exemples ne manquent pas pour montrer le calvaire du déplacement dans une capitale complètement étouffée. Quant aux usagers de la route, leurs témoignages sont assez éloquents sur la question. La Côte, dans la commune de Bir Mourad Raïs, 7h30. Il fait encore nuit en ce début de matinée de janvier. La circulation est déjà dense en ce point noir des hauteurs d’Alger. Les agents de police ont entamé leur gestuelle, nerveux au fur et à mesure que la circulation se densifie. Connu pour être un goulot d’étranglement, ce carrefour constitue un point de convergence des voies express du sud, de l’est et de l’ouest sur l’hypercentre de la capitale. Rachid est un habitué de ce passage obligé. Résidant à Blida, ce cadre d’une société basée au cœur de la capitale subit le calvaire depuis des années. “Au sortir de chez moi, je suis plein d’énergie, mais dès que j’arrive ici je déprime. Comme vous le voyez, cela fait une bonne trentaine de minutes que la circulation est bloquée. C’est le temps que je mets de Blida jusqu’à ce point de malheur !”, dira-t-il dépité, avant de se forcer à une manœuvre pour laisser un conducteur mal positionné. Ce dernier, à la limite de craquer, fait remarquer que la construction de la trémie n’a finalement pas réglé le problème, avant de lâcher : “On entame la journée à bout de nerfs. Une fois au bureau, je pense déjà au retour.” Les sifflets mêlés aux coups de klaxon appellent à la délivrance.
Du moins pour quelques minutes. Le taxi dans lequel nous nous engouffrons à trois démarre en trombe. Excité par la conversation de mes compagnons de trajet, le chauffeur vide son sac sur la question. La conduite est devenue sa corvée quotidienne, lui qui a plus de trente ans de volant à raison de huit heures par jour. La pente Cevital, comme l’appellent certains, pour désigner le carrefour Garidi, le rend plus nerveux. Les véhicules avancent pare-choc contre pare-choc. “Je ne vais pas tarder à rendre les armes”, dira-t-il en signe de soumission, avant d’ajouter que la situation devient de plus en plus impossible à gérer. Que dire de plus devant ce routier dont les moindres coins d’Alger n’ont aucun secret pour lui, sinon qu’abdiquer et conclure à la catastrophe. Un ami et sa femme, résidant à Ben Aknoun et travaillant à Oued Smar, sont obligés de sortir très tôt de la maison pour échapper aux inévitables bouchons.
Qu’en pense la DGSN ?
Partie prenante, la DGSN connaît mieux que tout le monde le terrain des opérations. Pour en savoir plus, nous nous sommes rapprochés de la source, en l’occurrence le service sécurité publique de Bab Ezzouar, communément appelé l’état-major, où le commissaire divisionnaire Lyès Beroui nous a accordé un entretien sur la question. Selon ce responsable, il y a lieu tout d’abord de citer les principales raisons génératrices d’embouteillages. En premier lieu, les goulots d’étranglement où aboutissent plusieurs voies express. Ces goulots s’ouvrent sur deux ou trois accès sur le centre d’Alger, ce qui ne manque pas de créer des embouteillages. Un ralentissement de quelques secondes crée un grand embouteillage. Les travaux de chaussée et/ou de trottoirs, les accidents de la circulation, les barrages de sécurité routière avec utilisation de détecteurs figurent parmi les causes essentielles des embouteillages. Mais pas seulement aux yeux du divisionnaire qui voit mal la fonctionnalité de la rocade Sud et de l’autoroute de l’Est. “Sont-elles réellement des voies express ?”, s’interroge-t-il en citant l’exemple des Grands Vents “où la vitesse peut aller à 80 km/h”, mais on est stoppé quelques kilomètres plus loin par des sorties qui obligent à ralentir. D’autres intervenants viennent grossir la liste des contraintes, à savoir la mauvaise conduite de certains automobilistes et le non-respect du code de la route, notamment la priorité, l’utilisation inappropriée de la bande d’arrêt d’urgence souvent occupée, gênant le passage des véhicules d’intervention (police, gendarmerie, protection civile). “Certains conduisent comme ils se conduisent”, commentera dans ce sens l’officier de police. On notera également au même chapitre le manque de civisme des piétons qui traversent comme bon leur semble, sans emprunter les passages protégés, encore moins les passerelles. A noter dans ce sens qu’il existe 55 passerelles et 61 souterrains rarement ou pas utilisés. A leur tour, observe l’officier, les piétons ne sont pas protégés des accidents en raison de l’insuffisance pour ne pas dire l’absence de matérialisation des trottoirs, carrefours et sorties de trémies.
30 000 véhicules entre 7 et 8h !
A la mauvaise conception des infrastructures routières dont les exemples ne manquent pas, il y a lieu d’inclure un facteur important, à savoir le flux de 30 000 véhicules qui se dirigent en l’espace d’une heure (entre 7h et 8h) vers le centre de décision, alors que 120 000 véhicules venant de toutes les wilayas circulent à longueur de journée. Bon nombre de ces véhicules ont pour destination l’hôpital Mustapha, qui a toujours été sollicité par les structures sanitaires de l’intérieur du pays. “Trouve-t-on normal que travailleurs, fonctionnaires des diverses administrations, élèves, étudiants et autres se retrouvent au même moment sur les deux mêmes voies d’accès du centre d’Alger ?”, fait remarquer l’officier, avant de souligner qu’il n’est pas facile de gérer la circulation de 300 bus arrivant chaque matin des cités universitaires à titre d’exemple. Et puis il y a les inévitables camions de ramassage des déchets ménagers, dont les communes sont censées réglementer les horaires de passage. “On aurait pu pour ce cas trouver la solution de la même façon que pour le port d’Alger qui, grâce à un arrêté du wali, interdit l’accès des camions avant 19h, un horaire qu’on devrait toutefois décaler à 21h, compte tenu de l’animation de plus en plus tardive de la capitale”, suggère l’officier. Cependant, si le problème de congestion de la circulation n’est pas de la responsabilité de la police, comme l’affirme le divisionnaire Beroui, ce dernier n’a pas été chiche en propositions. Les transports collectifs devraient faire partie de la culture du citoyen. Penser à créer une voie spéciale bus comme cela se fait dans beaucoup de pays, adapter les ralentisseurs à la norme standard, délocaliser les stations-services implantées dans le tissu urbain, connues pour créer des blocages, sans parler d’une éventuelle catastrophe en cas d’incendie, matérialiser les carrefours par les feux tricolores sont quelques suggestions qu’il met en évidence. Comme test, la DGSN a réussi à alléger le goulot d’étranglement du 5-Juillet en installant un agent assisté par un motard. L’expérience semble réussir, affirme l’officier, ajoutant que la prise en charge chaque matin de tous les carrefours de la capitale nécessite une armada d’agents, de véhicules et moyens, ce qui n’est pas facile à concrétiser. A noter également qu’un projet de police des routes serait au stade de maturation à la DGSN.
Des solutions, mais à quel prix ?
“Il y a un manque d’organisation”, souligne de prime abord Rachid Ouazène, directeur des transports de la wilaya d’Alger. Les raisons essentielles qui président à la congestion de la circulation sont en effet liées à un certain nombre de facteurs, à savoir l’organisation urbaine centralisée, l’augmentation du parc automobile de l’ordre de 8% en un temps très court, l’utilisation irrationnelle du véhicule par le citoyen (la voiture est devenue un signe de réussite sociale), le port qui draine un nombre important de visiteurs pour diverses formalités. “Toutefois, l’Etat n’est pas, pour autant, resté inactif”, précise le responsable, mettant en avant les mesures à même d’alléger cette grosse contrainte dans une première étape, dans l’attente de la mise en place du centre de régulation de la circulation. Ce projet, comme il en existe dans les pays développés, est censé fournir des informations centralisées et exploitées en temps réel. L’automobiliste pourra sur simple consultation via internet choisir l’itinéraire qui lui conviendrait. D’autres mesures ont été prises depuis quelque temps, rappellera le directeur des transports, dont on citera le fameux plan stratégique 2010/2029 visant à créer de nouveaux quartiers structurés, à l’exemple de Châteauneuf autour de la faculté de médecine, à Saïd Hamdine (faculté de droit), Kourifa à El-Harrach. Ces quartiers qui disposeront de toutes les commodités et aménagements seront autonomes. Dans ce même plan, l’infrastructure routière connaît déjà des aménagements par la 2e rocade, les pénétrantes et autres dédoublements. Parallèlement, une amélioration nette est attendue avec les extensions des lignes de métro et tram jusqu’au fin fond de la wilaya. Les projets en cours d’études, notamment pour ce qui est du métro, feront relier les banlieues les plus reculées au centre de la capitale. Le train, comme troisième force de transport, reliera les villes de l’Est à celles de l’Ouest. La gare centrale de l’Agha connaîtra pour sa part une délocalisation vers Kourifa, à proximité du projet du grand stade de Baraki. Le tramway qui roule pour le moment dans la seule direction de l’est fera l’objet d’extensions vers Bir Mourad Raïs au sud, Zéralda à l’ouest qui sera reliée à l’aéroport avant d’atteindre Réghaïa. Certains de ces projets sont prévus à l’horizon 2020. Sur un autre registre, le directeur des transports parle de restructurations par la multiplication de parkings à étages, le transfert de conteneurs par rail, le traitement des carrefours avec installation de 500 feux tricolores, le renforcement des moyens de l’entreprise Etusa. C’est en effet beaucoup de moyens qui seront mobilisés. Des solutions dans quelques années qui, au moment de leur exploitation, pourraient s’avérer insuffisantes. El là seul le facteur citoyen, mû par la culture citadine, peut venir à bout du problème. En attendant, la patience est de rigueur.
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